mardi 5 Nov 2024
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Spiritualité

Chronique du livre « Plaidoyer pour le bonheur » de Matthieu Ricard (partie1) :

Si vous ne le connaissez pas encore, Matthieu Ricard est un ancien scientifique, chercheur en biologie moléculaire qui vit depuis la fin des années 60 dans l’Himalaya et qui est depuis moine bouddhiste. C’est notamment l’interprète du dalaï-lama. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter sa page wikipédia.

Chapitre 1 : Vous avez dit Bonheur ?

Pour le Dalaï-lama, « le bonheur est le but de l’existence ». Pour Henri Bergson : « on désigne par bonheur quelque chose de complexe et de confus, un de ces concepts que l’humanité a voulu laisser dans le vague pour que chacun le détermine à sa manière ». Pour certains, le bonheur ne serait qu’une impression ponctuelle, fugitive, dont l’intensité et la durée varient avec la disponibilité des biens qui le rendent possible. Donc un bonheur insaisissable, dépendant de circonstances dont le contrôle nous échappe. Les sociologues définissent le bonheur comme « le degré selon lequel une personne évalue positivement la qualité de sa vie dans son ensemble. Cela revient à exprimer le bonheur selon le degré qu’une personne aime la vie qu’elle mène.

Mais qu’est-ce que le bonheur ?

En demandant à plusieurs personnes de raconter des épisodes de « parfait » bonheur : certains parlent de moments de paix profonde ressentie dans une forêt, au sommet d’une montagne, au bord d’un lac. D’autres mentionnent un évènement longtemps attendu comme la réussite d’un examen, la naissance d’un enfant, un triomphe sportif. D’autres parlent d’un moment d’intimité paisible vécu en famille ou en compagnie d’un être cher.

Le facteur commun à ces expériences est la disparition momentanée de conflits intérieurs. La personne se sent en harmonie avec le monde qui l’entoure et avec elle-même. Il n’attend rien de particulier, il « est » simplement, ici et maintenant, libre et ouvert. L’espace de quelques instants, les pensées du passé ne surgissent plus, les projets du futur n’encombrent plus l’esprit, et le moment présent est affranchi de toute construction mentale.

Mais il ne s’agit là que d’une éclaircie éphémère provoquée par les circonstances particulières. On parle de moment magique, d’état de grâce. Pourtant il existe un énorme fossé entre ces instants de bonheur saisis au vol et la sérénité immuable du sage. On peut tirer bénéfice de ces états dans la mesure où ils nous donnent une idée de ce que peut être la véritable plénitude.

Pour l’auteur, le bonheur est un état acquis de plénitude sous-jacente à chaque instant de l’existence et qui perdure à travers les inévitables aléas le jalonnant. C’est aussi un état de sagesse, au-delà des poisons mentaux, libre d’aveuglement sur la nature véritable des choses. Le bonheur est étroitement lié à la compréhension de la manière dont fonctionne notre esprit et dépend de notre façon d’interpréter le monde. Car s’il est difficile de changer ce dernier, il est en revanche possible de transformer la manière de le percevoir.

Il prend l’exemple d’un homme qui avait subi de terribles épreuves lors de l’invasion chinoise au Tibet. Cet homme a été emprisonné 12 ans et condamné à tailler des pierres pour la construction d’un barrage. Tous ces compagnons sont morts de faim et d’épuisement à ses côtés, les uns après les autres. Malgré l’horreur vécue, il est impossible de déceler chez lui la moindre haine, le moindre ressentiment. Celui qui connait la paix intérieure n’est pas plus brisé par l’échec qu’il n’est grisé par le succès. Il sait vivre pleinement ces expériences dans le contexte d’une sérénité profonde et vaste, en comprenant qu’elles sont éphémères, et qu’il n’a aucune raison de s’y attacher. Il ne saurait « tomber de haut » lorsque les choses tournent mal et qu’il doit faire face à l’adversité. Il ne sombre pas dans la dépression, car son bonheur repose sur des fondations solides. Le bonheur dépend avant tout de notre état intérieur.

À l’opposé du bonheur, le mal-être est également essentiellement un état intérieur. C’est un préliminaire indispensable pour mesurer dans quelles conditions l’esprit va miner notre joie de vivre, et dans quelle condition il va le nourrir. Changer notre vision du monde n’implique pas un optimisme naïf. Tant que l’insatisfaction et la frustration issues de la confusion de notre esprit seront notre lot quotidien. Être heureux est un exercice difficile. Le bonheur n’est pas non plus un état d’exaltation que l’on doit perpétuer à tout prix, mais l’élimination de toxines mentales comme la haine et l’obsession, qui empoisonnent l’esprit. Pour cela, il faut acquérir une meilleure connaissance de la façon dont fonctionne ce dernier et une perception plus juste de la réalité.

En résumé, le bonheur est l’état de plénitude durable qui se manifeste quand on s’est libéré de l’aveuglement mental et des émotions conflictuelles. C’est aussi la sagesse qui permet de percevoir le monde tel qu’il est, sans voile ni déformations. C’est enfin la joie de cheminer vers la liberté intérieure, et la bonté aimante qui rayonne vers les autres.

Chapitre 2 : Le bonheur est-il le but de l’existence ?

Nous sommes tous à la recherche du bonheur bien que cela apparaisse sous des formes très différentes. Personne ne se lève le matin en souhaitant souffrir le reste de la journée. Nous entreprenons d’innombrables tâches pour cela, comme tisser des liens d’amour et d’amitié, créer, construire, protéger ceux qui nous sont chers. Certains vont jusqu’à commettre un génocide pensant faire le bien ainsi. De même que le suicidé qui coupe court à sa détresse insupportable tend désespérément vers le bonheur.

Certains pensent qu’il faut parfois se sentir mal à l’aise, qu’il faut des « journées nulles » dans la vie pour mieux apprécier la richesse d’instants de félicité et « bénéficier de l’agrément du contraste ». De quel genre de bonheur parlent-ils ? De l’euphorie qui tourne à l’ennui, des plaisirs qui s’émoussent, des jouissances qui s’affadissent ? De telles dispositions ne peuvent qu’évoquer le fou qui s’assène des coups de marteau sur la tête afin d’éprouver un soulagement quand il s’arrête.

Il parait plus sage d’utiliser la souffrance comme support de transformation pour s’ouvrir avec compassion à ceux qui souffrent comme nous, voire plus que nous. Dans ce sens, on peut comprendre Sénèque lorsqu’il affirme : « la souffrance fait mal, mais elle n’est pas un mal ». Elle n’est pas un mal quand, ne pouvant l’éviter, on la met à profit pour apprendre et se transformer, tout en reconnaissant qu’elle n’est jamais un bien pour soi.

Lorsque le bonheur tombe dans l’anonymat et n’est pas reconnu, il se perd dans la foule de ses sosies nommés plaisir, divertissement, ivresse, volupté et autre mirage éphémères.

Envisager le bonheur comme la matérialisation de tous nos désirs et passions et, surtout, le concevoir uniquement sur un mode égocentrique, c’est confondre l’aspiration légitime à la plénitude avec une utopie qui débouche inévitablement sur la frustration.

L’ego voudrait que le monde soit à l’image de ses désirs. Même si, idéalement, la satisfaction de tous nos désirs était réalisable, elle ne conduirait pas au bonheur, mais à la production de nouveaux désirs ou, tout autant, à l’indifférence, au dégoût voire à la dépression. Car si nous avons imaginé qu’en satisfaisant tous nos penchants, nous serions heureux, l’échec de cette démarche nous fait douter de l’existence même de ce bonheur. Cela montre bien à quel point on peut s’illusionner sur les causes du bonheur. En l’absence de paix et de sagesse, en vivant dans l’alternance de la paix de l’espoir et du doute, de l’excitation et de l’ennui, du désir et de la lassitude, il est facile de dilapider sa vie, bribe par bribe, sans même s’en apercevoir, courant en tous sens pour n’arriver nulle part. Le bonheur est un état de réalisation intérieure, non l’exaucement de désirs illimités tournés vers l’extérieur.

Engendrer un bonheur authentique n’est en faite que révéler, ou réveiller un potentiel que l’on a toujours porté en soi. Ce qui apparait comme une construction ou un développement n’est autre que l’élimination graduelle de tout ce qui masque ce potentiel et fait obstacle au rayonnement de la connaissance et de la joie de vivre. Cette élimination consiste à débarrasser l’esprit de toutes les toxines mentales qui l’empoissonnent, telles la haine, l’avidité et la confusion.

Un bonheur élaboré dans le royaume de l’égoïsme ne peut être qu’éphémère et fragile comme un château bâti sur un lac gelé, prêt à sombrer dès les premiers dégels. Puisque nous avons tous un égal besoin d’être heureux, par quel privilège serais-je l’objet unique de mes efforts vers le bonheur ? Je suis un et les autres sont innombrables. Pourtant à mes yeux, je compte plus que tous les autres. Telle est l’étrange arithmétique de l’ignorance. Il est essentiel de comprendre qu’en faisant le bonheur des autres on fait le sien.

En résumé, le but de l’existence est bien cette plénitude de tous les instants accompagnée d’un amour pour chaque être, et non de cet amour individualiste que la société actuelle nous inculque en permanence. Le vrai bonheur procède d’une bonté essentielle qui souhaite du fond du cœur que chacun trouve un sens à son existence. C’est un amour toujours disponible, sans ostentation ni calcul. La simplicité immuable d’un cœur bon.

Chapitre 3 : Un miroir à deux faces

Maladroitement, nous recherchons le bonheur en dehors de nous-mêmes, alors qu’il est essentiellement un état intérieur.

Pour cultiver notre bonheur, il vaut mieux ne pas sous-estimer le pouvoir de transformation de l’esprit. Si une personne applique pendant des années, avec discernement et persévérance, à gérer les pensées à mesure qu’elles surviennent, à mettre en œuvre des antidotes appropriés aux émotions négatives et à développer les émotions positives, notre effort donnera sans doute des résultats qui semblaient à première vue hors d’atteinte. Le bonheur ne se décrète pas, ne se convoque pas, mais se cultive et se construit peu à peu, dans la durée.

Chapitre 4 : Les faux amis

Pour déterminer les facteurs extérieurs et les attitudes mentales qui favorisent le bonheur, il convient en premier lieu d’établir une distinction entre le bonheur et certains états en apparence similaires, mais en réalité très différents.

Le plaisir :

L’erreur la plus fréquente consiste à confondre plaisir et bonheur. Le plaisir est directement causé par des stimulis agréables et l’expérience dépend des circonstances. Sa nature est instable et la sensation qu’il inspire peut vite devenir neutre ou désagréable. Le plaisir s’épuise à mesure qu’on en jouit, comme une chandelle qui se consume. Par ailleurs, le plaisir est une expérience individuelle, essentiellement centré sur soi. On peut éprouver du plaisir au détriment des autres, mais on ne saurait en retirer du bonheur.

Tandis que les plaisirs ordinaires se produisent au contact d’objets agréables et prennent fins dès que cesse le contact, le bonheur est ressenti aussi longtemps que nous demeurons en harmonie avec notre nature profonde. Il a pour composante naturelle l’altruisme, qui rayonne vers l’extérieur au lieu d’être centré sur soi.

Cette distinction entre plaisir et bonheur n’implique pas qu’il faille s’abstenir de rechercher des sensations agréables. Il n’y a aucune raison de se priver de la vue d’un magnifique paysage pourvu que cela ne nous aliène pas. Les plaisirs ne deviennent des obstacles que lorsqu’ils rompent l’équilibre de l’esprit et entrainent une obsession de jouissance ou une aversion pour ce qui les contrarie.

L’intensité :

Vivre intensément est devenu le leitmotiv de l’homme moderne. Notre besoin constant d’activité, notre agitation constante tiens du faite que nous n’avons pas pris la peine de mieux connaitre le fonctionnement de notre esprit. Cette intensité est entièrement liée au monde extérieur, aux sensations visuelles, auditives, gustatives, tactiles et olfactives. Quand nous nous intéressons à l’intérieur, il s’agit de rêveries, de fantasmes : on ressasse le passé, on se perd dans la vaine imagination du futur.

Un véritable sentiment de plénitude associé à la liberté intérieure offre lui aussi une intensité de tous les instants, mais d’une tout autre qualité. C’est un scintillement vécu dans la paix intérieure, où l’on est capable de s’émerveiller de la beauté de chaque chose. C’est savoir jouir du moment présent, libre de l’alternance d’excitation et de fatigue entretenue par les stimulations envahissantes qui accaparent notre attention.

L’euphorie :

Une étude a montré que des circonstances inattendues comme gagner à la loterie par exemple entrainent un changement temporaire du niveau de plaisir, mais peu de modifications à long terme dans le tempérament heureux ou malheureux des sujets concernés.

Il y a une très nette différence de nature entre la joie profonde qui est une manifestation naturelle du bonheur et l’euphorie, l’exaltation jubilatoire résultant d’une excitation passagère. Tout enjouement superficiel qui ne repose pas sur une satisfaction durable s’accompagne inévitablement d’une rechute dans la morosité.

La joie :

Le bonheur rayonne spontanément sous forme de joie. Une joie sereine, intérieure, ne se manifeste pas forcément de manière exubérante, mais par une appréciation légère et lumineuse de la richesse du moment présent. Il existe aussi des joies malsaines, comme celles de la vengeance. De nombreuses émotions possèdent chacune une composante de joie, mais pour qu’elles participent au bonheur, elles doivent être libres de toute composante négative. Si la colère ou la jalousie font irruption, la joie s’éteint soudainement.

Pour que la joie dure et mûrisse sereinement, il lui faut être associé aux autres composantes du bonheur véritable : la lucidité, la bonté, l’affaiblissement graduel des émotions négatives et la cessation des caprices de l’ego.

Les illusions :

La plupart du temps, notre recherche instinctive et maladroite du bonheur se fonde davantage sur des leurres et des illusions que sur la réalité. Or, ne vaudrait-il pas mieux transformer notre esprit que de nous épuiser à modeler le monde à l’image de nos fantasmes ? Une transformation radicale et définitive de l’esprit est-elle possible ? L’expérience montre qu’un entrainement prolongé et une attention vigilante permettent d’identifier et de gérer les émotions et les évènements mentaux à mesure qu’ils surviennent.

Changer notre perception du monde et notre façon de vivre les émotions momentanément engendre une modification de nos humeurs qui ouvre sur une transformation durable de notre tempérament.

Souffrance et malheur :

Il faut faire la différence entre malheur et souffrance. On subit la souffrance, mais on crée le malheur. Les souffrances sont déclenchées par une multitude de causes sur lesquelles nous n’avons souvent aucun pouvoir. Le malheur est tout autre, c’est la façon dont nous vivons ces souffrances. Dans la mesure où c’est l’esprit qui transforme le malheur en souffrance, il lui incombe d’en maitriser la perception. L’esprit est malléable, rien en lui n’impose une souffrance irrémédiable. Même un changement minime dans la manière de gérer nos pensées, de percevoir et d’interpréter le monde peut considérablement transformer notre existence.

Comment dès lors ne pas concevoir que celui, ou celle, qui a maîtrisé son esprit et développé une profonde paix intérieure puisse devenir pratiquement invulnérable aux circonstances extérieures ? Même si de telles personnes ne se rencontrent pas couramment, le simple fait qu’elles existent revêt une signification considérable pour la conduite et l’orientation de notre vie.

Chapitre 5: L’alchimie de la souffrance

3 types de souffrances existent:

– La souffrance visible: elle est partout évidente

– La souffrance cachée: elle se dissimule sous l’apparence du plaisir, de l’euphorie, de l’insouciance, du divertissement. C’est la souffrance du changement. Par exemple, une famille est réunie tranquillement pour un pique-nique lorsque soudain un enfant est mordu par un serpent. Ce type de souffrance est susceptible de survenir à chaque instant de la vie, mais reste caché pour qui se laisse leurrer par le mirage des apparences et s’entête à penser que les êtres et les choses durent, échappant au changement incessant qui affecte toute chose.

Cette souffrance se retrouve également dans les activités les plus ordinaires. Il n’est pas facile d’identifier cette souffrance qui n’est pas aussi immédiatement repérable qu’une rage de dents. Il prend l’exemple d’un simple œuf à la coque qui semble anodin alors que les poules sont élevées en batteries et gavées jour et nuit pour pondre, elles s’arrachent les plumes en raison de la surpopulation et sont incapables de marcher.

– La souffrance invisible: c’est la plus difficilement repérable, car elle trouve son origine au sein même de l’aveuglement de notre esprit et y demeure aussi longtemps que nous nous trouvons sous l’emprise de l’ignorance et de l’égocentrisme. Cette confusion, et les tendances qui lui sont associées nous incitent à perpétuer les comportements à la source de nos tourments. En général, nous ne sommes pas capables d’identifier l’ego comme la cause de cette souffrance. Le sentiment maladif que l’on est le centre du monde est à l’origine de la plupart des pensées perturbatrices.

Les causes de la souffrance:

Peut-on imaginer mettre un terme à la souffrance? Elle sera toujours là en tant que phénomène global, mais chaque individu à la possibilité de s’en libérer.

Partout où la vie s’épanouit dans l’univers, la souffrance est présente: maladie, vieillesse, mort, séparation d’avec ceux que l’on aime, union forcée avec ceux qui nous oppriment, privation de ce dont on a besoin, confrontation avec ce que l’on redoute.

Cette vision semble pessimiste, mais sur le plan individuel, il est possible d’éradiquer les causes de la souffrance. La raison en est simple: le malheur a des causes que l’on peut identifier et sur lesquelles on peut agir. C’est en se trompant sur la nature de ces causes que l’on vient à douter de la possibilité d’une guérison.

Il y a 2500 ans, Bouddha énonça les 4 nobles vérités. La première est la vérité de la souffrance (et pas seulement la souffrance qui saute aux yeux). La deuxième est la vérité des causes de la souffrance, l’ignorance qui entraine le désir avide, la malveillance et l’orgueil qui empoisonnent notre vie et celle des autres. Comme ces poisons peuvent être éliminés, la cessation de la souffrance est la troisième vérité. La quatrième vérité étant la voie qui met en œuvre toutes les méthodes permettant d’éliminer les causes fondamentales de la souffrance.

Il est important de distinguer le mal-être et les douleurs éphémères. Ces dernières dépendent des circonstances extérieures alors que le mal-être est un profond sentiment d’insatisfaction qui perdure en dépit de circonstances extérieures favorables. À l’inverse, il est possible de souffrir physiquement, de ressentir de la tristesse sans perdre le sentiment de plénitude. Il s’agit de deux niveaux d’expérience que l’on peut comparer aux vagues et aux profondeurs de l’océan. À la surface, la tempête fait rage, mais dans les profondeurs, le calme demeure. Le sage reste toujours relié aux profondeurs.

Rester douloureusement obsédé par une situation ou par le souvenir d’un défunt au point d’être brisé des mois où des années durant ne sont pas une preuve d’affection, mais un attachement qui n’est source d’aucun bienfait ni pour les autres ni pour soi-même. Si l’on arrive à admettre que la mort fait partie de la vie, la détresse cède peu à peu la place à la compréhension et à la paix.

La façon dont nous vivons ces vagues de souffrance dépend donc considérablement de notre propre attitude. Ainsi vaut-il mieux se familiariser et se préparer aux souffrances que l’on est susceptible de rencontrer et dont certaines sont inévitables, telles la maladie, la vieillesse et la mort, plutôt que d’être pris au dépourvu et de sombrer dans la détresse.

Tirer le meilleur parti de la souffrance:

La souffrance peut être un extraordinaire enseignement, à même de nous faire prendre conscience du caractère superficiel de nombres de nos préoccupations habituelles, du passage irréversible du temps, de notre propre fragilité et surtout de ce qui compte vraiment au plus profond de nous-mêmes. À long terme, la souffrance favorise la découverte d’un monde où il n’y a pas de séparation réelle entre l’extérieur et l’intérieur, entre le corps et l’esprit, entre moi et les autres.

Afin de ne pas être terrassé par la souffrance et de l’utiliser au mieux comme un catalyseur, il est important de ne pas laisser l’anxiété et le découragement envahir l’esprit. Un sage « shantideva » écrit: « S’il y a un remède, à quoi bon le mécontentement? S’il n’y a pas de remède, à quoi bon le mécontentement ».

Éviter de faire retomber le blâme sur les autres:

Voir en les autres les seuls responsables de nos souffrances revient à nous garantir une vie misérable. Il ne faut pas sous-estimer les répercussions de nos actes, de nos paroles et de nos pensées. Selon la perspective bouddhiste, nous sommes le résultat d’un très grand nombre d’actes libres dont nous sommes responsables. Cette approche est liée à la notion de « Karma », cela signifie « acte», mais désigne également le lien dynamique qui existe entre un acte et son résultat. Chaque action et autant que chaque intention qui la sous-tend est considérée comme positive ou négative selon ses effets sur le bonheur et la souffrance.

Gérer la souffrance:

Il est concevable de remédier aux douleurs mentales en transformant l’esprit, comment appliquer un tel processus à la souffrance physique? Il convient de distinguer 2 types de souffrances: la douleur physiologique et la souffrance mentale et émotionnelle que la première engendre.

La réaction émotionnelle à la douleur varie de façon importante d’un individu à l’autre. Une part importante de la sensation douloureuse est associée au désir anxieux de la supprimer. Si nous laissons cette anxiété submerger notre esprit, la plus bénigne des douleurs devient insupportable. Notre appréciation de la douleur dépend de notre esprit: c’est lui qui réagit à la douleur par la peur, la révolte, le découragement, l’incompréhension ou le sentiment d’impuissance, de sorte qu’au lieu de subir un seul tourment, nous les cumulons. Pour cela, le bouddhisme a élaboré 3 méthodes, une fait appel à l’imagerie mentale, une autre permet de transformer la douleur en s’éveillant à l’amour et la compassion et une troisième consiste à examiner la nature de la souffrance.

Chapitre 6: Le bonheur est-il possible?

Il nous est à arrivé à chacun, à un moment ou à un autre de notre existence de croiser des êtres qui respirent le bonheur. Il semble imprégner chacun de leurs gestes, chacune de leurs paroles. Certains déclarent qu’ils ont atteint un bonheur qui perdure au plus profond d’eux-mêmes, quels que soient les aléas de l’existence.

Le bonheur ne serait-il qu’un répit dans la souffrance?

Nombreux sont ceux qui n’envisagent le bonheur que comme une accalmie passagère, vécue de façon positive en contraste avec la souffrance. Nous ne pouvons nier l’existence de sensations agréables et désagréables, mais elles ont peu d’importance au regard du bonheur. Il est certainement possible de vivre un état de bonheur durable et l’objectif consiste donc à déterminer lucidement les causes du malheur et à y remédier. Le bonheur véritable ne se limitant pas à une atténuation momentanée des aléas de l’existence, il exige l’éradication des causes principales du malheur, à savoir l’ignorance et les poisons mentaux. Si le bonheur est bien une manière d’être, un état de connaissance et de liberté intérieure, il n’y a rien qui puisse fondamentalement empêcher sa réalisation.

Chapitre 7: Les voiles de l’ego

Regardant vers l’extérieur, nous solidifions le monde en projetant sur lui des attributs qui ne lui sont nullement inhérents. Regardant vers l’intérieur, nous figeons le courant de la conscience en imaginant un moi qui trônerait entre un passé qui n’existe plus et un futur qui n’existe pas encore. Nous tenons pour acquis le fait de percevoir les choses telles qu’elles sont et mettons rarement cette opinion en doute. Spontanément, nous assignons aux choses et aux êtres des qualités intrinsèques, ceci est « beau », ceci est « laid ». Ainsi, nous divisons le monde en « désirable » et « indésirable », prêtons une permanence à ce qui est éphémère, et percevons comme des entités autonomes ce qui est en réalité un réseau infini de relations sans cesse changeantes.

Si une chose était « belle » et ses qualités lui appartenaient en propre, il serait alors justifié de la considérer comme désirable en tout temps et en tout lieu. Or, existe-t-il une chose ainsi qui soit reconnue universellement et unanimement? Par exemple: Une jolie femme sera un objet de désir pour un amoureux, une distraction pour un méditant et un bon repas pour un loup.

Pour le bouddhisme, la confusion mentale est le voile qui empêche de percevoir clairement la réalité et obscurcit la compréhension de la véritable nature des choses. Sur le plan pratique, c’est aussi l’incapacité à discerner les comportements qui permettent de trouver le bonheur et d’éviter la souffrance. La facette la plus radicalement perturbatrice dans la confusion mentale est l’attachement à une identité personnelle, à un ego. Le bouddhisme distingue un « je » inné lorsque l’on pense « je me lève » et un « moi » conceptuel, formé par la force de l’habitude, auquel on attribue diverses qualités et que chacun se représente comme le noyau de son être, indépendant et durable.

À chaque instant, le corps subit d’incessantes transformations et l’esprit est le théâtre d’innombrables expériences émotionnelles et conceptuelles. Et pourtant, on s’obstine à attribuer au « moi » des qualités de permanence, de singularité et d’autonomie. Nous nous retrouvons en porte à faux avec la réalité. Nous sommes fondamentalement interdépendants avec les êtres et avec notre environnement. Notre expérience n’est autre que le contenu du flux mental, du continuum de conscience, et il ne s’impose pas d’envisager le moi comme une entité distincte de ce flux. Nous sommes tellement habitués à apposer sur ce flux mental l’étiquette d’un moi, que nous nous identifions à ce dernier et craignons sa disparition. Il s’ensuit un puissant attachement au moi puis à la notion de « mien » – mon corps, mon nom, mes amis, mes possessions – qui entraine soit un désir de possession, soit un sentiment de répulsion à l’égard de l’autre. C’est ainsi que les notions de soi et d’autrui se cristallisent dans notre esprit. Le sentiment erroné d’une dualité irréductible devient alors inévitable, formant la base de toutes les autres afflictions mentales qu’il s’agisse du désir aliénant, de la haine, de la jalousie, de l’orgueil ou de l’égoïsme. Dès lors, nous percevons le monde dans le miroir déformant de nos illusions. On se trouve alors en constant désaccord avec la nature véritable des choses, ce qui mène inévitablement à la souffrance.

L’égocentrisme qui fait de soi le centre du monde relève d’un point de vue entièrement relatif. Notre erreur est de figer notre propre point de vue et d’espérer, ou pire d’exiger que « notre » monde prévale sur celui d’autrui.

Que faire de l’ego?

Très peu de méthodes psychologiques traitent du problème de réduire le sentiment de l’importance du moi, réduction qui pour le sage va jusqu’à l’éradication totale de l’ego.

Lorsqu’on explore le corps, la parole et l’esprit, on s’aperçoit que ce moi n’est qu’un mot, une étiquette, une convention, une désignation. Le problème, c’est que cette étiquette se prend pour quelque chose. Pour démasquer cette imposture, il faut pousser l’enquête jusqu’au bout. Il s’agit ici d’une recherche introspective qui vise à découvrir ce qui se cache derrière la chimère d’un moi qui définirait notre être.

Une analyse rigoureuse nous forcera de conclure que le moi ne réside en aucune partie du corps. Il n’est pas dans le cœur, la poitrine ou la tête. Nous pensons volontiers que le moi est associé à la conscience. Mais elle est, elle aussi un flux insaisissable: le passé est mort, le futur pas encore né et le présent ne dure pas. Le moi ne peut être trouvé dans ce à quoi il est associé. Quelqu’un peut penser qu’il est grand, jeune et intelligent, mais ni la taille, ni la jeunesse, ni l’intelligence ne sont le moi. Le moi n’est qu’un nom par lequel on désigne un continuum, comme on nomme un fleuve Gange ou Mississippi. Un tel continuum existe certes, mais de façon purement conventionnelle et fictive. Il est sans cesse changeant et dénué d’existence propre.

La notion de personne est valide et saine si on la considère comme un simple concept désignant l’ensemble des relations entre la conscience, le corps et l’environnement. Elle est inappropriée et malsaine dès qu’on la considère comme une entité autonome.

« L’ego est le résultat d’une activité mentale qui crée et « maintient en vie » une entité imaginaire dans notre esprit » Han de Wit.

Lorsque l’ego prédomine, l’esprit est comme un oiseau qui se heurte constamment à un mur de verre, celui de la croyance en l’ego, rétrécissant notre univers et l’enfermant dans ses étroites limites. Décontenancé, étourdi par ce mur, il ne sait plus comment le traverser. Mais ce mur est invisible, car il n’a pas d’existence véritable comme c’est une fabrication de l’esprit. Si nous n’avions pas fabriqué le verre de l’ego, ce mur n’aurait pu être érigé et n’aurait aucune raison d’être. L’attachement à l’ego est fondamentalement lié aux souffrances que nous ressentons et à celles que nous infligeons aux autres. Abandonner cette fixation sur notre image, ne plus accorder autant d’importance à l’ego revient à gagner une immense liberté intérieure. Cela permet d’aborder tout être ou toute situation avec naturel, bienveillance, force d’âme et sérénité. N’espérant pas gagner et ne craignant pas de perdre, on est libre de donner et de recevoir.

En s’accrochant à l’univers confiné de l’ego, on a tendance à être uniquement préoccupé par soi. La moindre contrariété nous perturbe et nous décourage. Nous sommes obsédés par nos succès, nos échecs, nos espoirs et nos inquiétudes. Le bonheur a alors toutes les chances de nous échapper. Le monde étroit du moi est comme un verre d’eau dans lequel on jette une poignée de sel: l’eau devient imbuvable. Si, en revanche, on brise les barrières du moi, et que l’esprit devient semblable à un vaste lac, la même poignée de sel ne changera rien à sa saveur.

Lorsque le moi cesse d’être considéré comme la chose la plus importante au monde, on se sent plus facilement concerné par les autres. La vue de leurs souffrances ne fait que redoubler notre courage et notre détermination à œuvrer pour leur bien. Si l’ego constituait vraiment notre essence profonde, on comprendrait notre inquiétude à l’idée de s’en débarrasser. Mais il n’est qu’une illusion, alors s’en affranchir ne revient pas à extirper le cœur de notre être, simplement à ouvrir les yeux.

Chapitre 8: Le fleuve des émotions

Le mot émotion recouvre tout sentiment qui fait se mouvoir l’esprit, que ce soit vers une pensée nocive, neutre ou positive. Pour le bouddhisme, l’émotion qualifie ce qui conditionne l’esprit et lui fait adopter une certaine perspective, une certaine vision des choses.

Le bouddhisme met l’accent sur la prise de conscience accrue des pensées instantanées, ce qui permet d’identifier immédiatement une pensée de colère lorsqu’elle surgit, puis de la déconstruire dans l’instant suivant, comme un dessin sur l’eau se défait à mesure qu’on l’ébauche. Le même processus se reproduit pour la pensée suivante, et ainsi de suite. Il faut donc travailler sur les pensées une à une, en analysant la façon dont elles surviennent et se développent et en apprenant peu à peu à les gérer.

Le terme émotion « négative » n’implique pas que l’émotion soit associée à un sentiment déplaisant. Au contraire, elle peut être liée à l’attirance, au désir avide et obsédant. L’adjectif « négatif » signifie simplement moins de bonheur, de lucidité et de liberté intérieure. Il s’agit de toute émotion qui est source de tourments pour nous et notre entourage. De même, une émotion positive ne suppose pas de voir la vie en rose, mais contribue au bonheur. Ces notions ne font pas appel à un dogme, mais vont au cœur même des mécanismes du bonheur et de la souffrance. Par exemple, quand on donne libre cours à la jalousie, le résultat ne se fait pas attendre: on ne connait plus un instant de paix et on crée un enfer pour les autres. Notre première réaction ne doit pas consister simplement à étouffer cette émotion, mais à comprendre les raisons pour lesquelles elle n’a aucun effet positif.

Les émotions perturbatrices ont tendance à déformer notre perception de la réalité et nous empêchent de la voir telle qu’elle est. L’attachement idéalise son objet, la haine le diabolise. Ces émotions nous font croire que la beauté ou la laideur sont inhérentes aux êtres et aux choses. Or, c’est l’esprit qui les décrète « attirantes » ou « repoussantes ». Cette méprise crée un écart entre l’apparence des choses et leur réalité, trouble le jugement et conduit à penser et à agir comme si ces qualités ne dépendaient pas en grande partie de notre manière de voir. À l’inverse, les émotions et facteurs mentaux « positifs » renforcent notre lucidité et la justesse de notre raisonnement dans la mesure où ils sont fondés sur une appréciation plus juste de la réalité. Ainsi, l’amour altruiste reflète l’interdépendance entre les êtres, notre bonheur et celui d’autrui, tandis que l’égocentrisme creuse un fossé toujours plus profond entre soi et autrui.

La première étape consiste à analyser la façon dont surviennent les émotions. Cette démarche exige de cultiver une attention vigilante au déroulement des activités mentales, accompagnée d’une prise de conscience permettant de distinguer les émotions destructrices de celles qui favorisent l’épanouissement du bonheur. Cette analyse mainte fois répétée est le préliminaire indispensable à la transformation d’un état mental perturbé.

(Note: vous pouvez consulter ma chronique du livre « méditer au quotidien » qui est un véritable guide pour savoir comment pratiquer et développer votre introspection mentale à travers la méditation)

Chapitre 9: Émotions perturbatrices: Les remèdes.

Selon le bouddhisme, maîtriser l’esprit consiste entre autres à ne pas laisser ses émotions s’exprimer sans discrimination. Comment ôter aux émotions conflictuelles leur pouvoir aliénant sans devenir insensible au monde, sans ternir les richesses de l’existence?

Si l’on se contente de les reléguer au fond de l’inconscient, elles resurgiront à la première occasion avec une puissance accrue et ne cesseront de renforcer les tendances qui entretiennent les conflits intérieurs.

L’idéal est au contraire de laisser les émotions négatives se former et se défaire sans laisser de traces dans l’esprit. Les pensées et les émotions continueront à surgir, mais elles ne s’additionneront plus et perdront le pouvoir de faire de nous leurs esclaves.

L’expérience montre que, comme une infection non traitée, les émotions perturbatrices gagnent en puissance dès qu’on leur donne libre cours. Laisser exploser la colère, par exemple, tend à créer un état psychologique instable qui rend de plus en plus irascible. En laissant systématiquement ses émotions négatives s’exprimer, on contracte des habitudes dont on sera à nouveau la proie aussitôt que leur charge émotionnelle aura atteint le seuil critique. Ce seuil s’abaissera de plus en plus et l’on se mettra de plus en plus facilement en colère.

Cela ne veut pas dire qu’il faille refouler les émotions, cela reviendrait à les empêcher de s’exprimer tout en les laissant intactes, ce qui ne peut être qu’une solution temporaire et malsaine. À l’opposé, l’expression incontrôlée et outrancière des émotions est malsaine en pouvant provoquer des meurtres ou des guerres. Dans les 2 cas, on n’a pas su établir le juste dialogue avec ses émotions.

Il faut commencer à « reconnaitre » que les émotions afflictives sont préjudiciables au bien-être. Cette évaluation n’est pas fondée sur une distinction dogmatique entre le bien et le mal, mais sur une observation attentive des répercussions que certaines émotions ont, à court et à long terme, sur soi-même et sur les autres.

Il y a plusieurs méthodes pour réussir cette familiarisation avec les émotions. Les 3 principales sont les antidotes, la libération et l’utilisation. La première consiste à rechercher un antidote spécifique pour chaque émotion négative. La deuxième permet de dénouer ou « libérer » l’émotion en découvrant sa nature véritable. La troisième méthode consiste à utiliser la force de chaque émotion comme un catalyseur de transformation intérieur. Le choix de l’une ou l’autre de ces méthodes dépend du moment, des circonstances et des capacités de celui qui les utilise. Toutes ont un point commun essentiel: nous aider à ne plus être victimes des émotions conflictuelles.

– L’usage des antidotes: L’idée consiste à neutraliser les émotions afflictives à l’aide d’un antidote spécifique comme on neutralise les effets destructeurs d’un poison à l’aide d’un sérum. Deux processus mentaux diamétralement opposés ne peuvent avoir lieu simultanément. On peut osciller rapidement entre l’amour et la haine, mais on ne peut ressentir dans le même instant de conscience le désir de nuire à quelqu’un et celui de faire du bien. En entrainant son esprit à l’amour altruiste, on élimine peu à peu la haine comme ces 2 états d’esprit peuvent alterner, mais non coexister au même instant. Il importe donc de commencer par découvrir les antidotes qui correspondent à chaque émotion négative puis de les cultiver. Ces antidotes sont au psychisme ce que les anticorps sont à l’organisme.

– Libérer les émotions: cette méthode consiste à se demander si, plutôt que de tenter d’enrayer chaque émotion qui nous afflige avec son antidote particulier, nous pourrions identifier un antidote unique, agissant à un niveau plus fondamental sur toutes nos afflictions mentales. Si l’on examine les émotions, on s’aperçoit qu’elles ne sont que des flux dynamiques dénués d’existence intrinsèque. Que va-t-il se passer si, au lieu de contrecarrer une émotion perturbatrice par son contraire, la colère par exemple, on se contente d’examiner la nature de l’émotion elle-même?

Une forte bouffée de colère nous submerge. On a l’impression que l’on n’a pas d’autre choix que de se laisser emporter. Mais à ce moment, observons attentivement. Puis-je localiser cette colère dans ma poitrine, mon cœur ou ma tête? S’il me semble que oui, a-t-elle une couleur ou une forme? Je serais bien en peine de lui trouver de telles caractéristiques. Lorsqu’on contemple un gros nuage noir dans un ciel d’orage, il a l’air si massif qu’on pourrait s’y asseoir. Pourtant si l’on vole vers ce nuage, on ne trouve rien que l’on puisse saisir: il n’est que vapeur et vent. Examinons la colère de plus près. D’où tire-t-elle le pouvoir de me dominer à ce point? Possède-t-elle une arme? Brûle-t-elle comme un feu ou écrase-t-elle comme un rocher? Plus je cherche à cerner la colère de cette manière, plus elle disparaît sous mon regard, comme la gelée blanche sous les rayons du soleil. Tout ce qu’on peut affirmer c’est que la colère naît de notre esprit, y dure quelques instants et s’y dissout à nouveau. Mais nous l’avons déjà vu, cet esprit lui-même est insaisissable. En examinant attentivement la colère, nous n’y trouverons rien de consistant, rien qui justifie l’influence tyrannique qu’elle exerce sur notre façon d’être. Faute de nous livrer à cette investigation, nous nous laissons obnubiler par l’objet de la colère et envahir par l’émotion destructrice. Si, au contraire, nous réalisons que la colère n’a aucune consistance en elle-même, elle perd soudainement de sa puissance.

– Utiliser les émotions comme catalyseurs: cette méthode est la plus subtile et la plus délicate. Si l’on examine attentivement ses émotions, on découvre que, comme les notes de musique, elles ont de nombreuses composantes, ou harmoniques. La colère incite à l’action et permet souvent de surmonter un obstacle. Elle présente aussi des aspects de clarté, de vivacité et d’efficacité qui ne sont pas mauvais en eux-mêmes. Le désir possède un aspect de félicité, distinct de l’attachement. L’orgueil, un aspect de confiance en soi, qui est dénué d’hésitation sans pour autant sombrer dans l’arrogance. Pour peu que l’on sache séparer ces différents aspects, il devient concevable de reconnaître et d’utiliser les côtés positifs d’une pensée généralement considérée comme négative. C’est donc un défi que nous lancent les émotions: celui de reconnaître qu’elles ne sont pas intrinsèquement perturbatrices, mais le deviennent aussitôt que nous nous identifions à elles et que nous nous y attachons. Si l’on réussit à éviter cette fixation, il n’est plus nécessaire de faire intervenir un antidote extérieur: les émotions elles-mêmes agissent comme des catalyseurs qui permettent de se dégager de leur influence nuisible. Le point de vue change: quand on tombe à la mer, c’est l’eau elle-même qui tient lieu d’appui et permet de nager vers la terre ferme.

Chapitre 10: le désir

Personne ne contestera qu’il soit naturel de désirer et que le désir joue un rôle moteur dans notre vie. Il ne faut pas confondre les aspirations profondes que le cours de notre existence engendre avec le désir qui n’est qu’une soif, un tourment pour l’esprit.

Le désir peut aussi s’élargir, se libérer et s’approfondir pour devenir une aspiration. Celle de faire de soi un meilleur être humain, d’œuvrer au bien des êtres ou d’atteindre l’éveil spirituel. Le désir peut dégénérer rapidement en « poison mental » dès qu’il devient soif impérative, obsession ou attachement incontrôlable. Lorsque l’on est obsédé par une chose ou un être, la possession ou la jouissance de ces derniers devient à nos yeux une nécessité absolue.

De nos jours, le désir ne cesse d’être alimenté et amplifié par la presse, le cinéma, la littérature et la publicité. Il nous rend dépendants de l’intensité de nos émotions, pour ne conduire qu’à des satisfactions de courte durée. On n’a d’ailleurs guère le temps de prendre la mesure de sa frustration, car d’autres sollicitations arrivent à la rescousse.

Le bouddhisme ne prône pas l’abolition des désirs simples ni des aspirations essentielles, mais la liberté à l’égard des désirs asservissants, ceux qui entrainent une foule de tourments inutiles. Le désir avide est en revanche insatiable. Quand on a une chose, on en veut une deuxième, puis une troisième et ainsi de suite.

Les mécanismes du désir:

La soif de sensations agréables s’installe facilement dans l’esprit du fait que le plaisir est avenant, toujours prêt à offrir ses services. Il présente bien, met en confiance et, par quelques images convaincantes, balaie toutes nos hésitations: qu’aurions-nous à craindre d’une offre si alléchante? Partir sur le chemin des désirs est la facilité même. Mais l’allégresse des premiers pas est de courte durée, cédant la place à la déception de toute attente naïve et au sentiment de solitude accompagnant la satiété des sens. Les plaisirs, une fois goûtés, ne demeurent pas, ne s’accumulent pas, ne se conservent pas et ne fructifient pas: ils s’évanouissent. Il n’est donc guère réaliste d’espérer qu’ils nous procurent un jour une félicité durable.

La première constatation est que tout désir passionnel est précédé d’une image mentale. La forme mentale de cette image peut être déclenchée par un objet extérieur. Dès lors que les images mentales liées à un désir commencent à proliférer dans l’esprit, soit on assouvit ce désir, soit on le réprime. Dans le premier cas, il y a abandon de la maîtrise de soi, dans le second, un conflit se déclenche et crée de la répression qui sera une source de tourment. À l’opposé, l’assouvissement n’est qu’un répit. Les images mentales que le désir ne cesse de former ressurgissent très vite. Nous avons ainsi déclenché une auto combustion du désir: plus on boit de l’eau salée, plus on a soif.

Il est possible de devenir plus attentif à la manière dont se forment les images mentales et d’acquérir la compréhension puis la maîtrise, de leur évolution. La répression ou l’assouvissement ne s’exerce que lorsque l’intensité du désir est devenue telle, qu’il est pénible de résister à sa traduction en acte. Mais dans le cas où les images mentales se forment puis s’effacent naturellement, il n’y a ni intensification ni répression du désir.

Le désir obsessionnel:

Il est une exacerbation de l’intensité et la fréquence des images mentales qui le déclenchent. Comme un disque rayé, il ressasse inlassablement le même leitmotiv. C’est une polarisation de l’univers mental, une perte de fluidité qui fige la liberté intérieure. Ces obsessions deviennent très douloureuses lorsqu’elles ne sont pas assouvies et se renforcent lorsqu’elles le sont. L’univers de l’obsession est donc un monde où l’urgence se mêle à l’impuissance. L’obsession engendre un état de souffrance chronique et d’anxiété, auxquelles se mêlent à la fois le désir et la répulsion, l’insatiabilité et la fatigue. L’obsession rend « accro » à la souffrance.

Chapitre 11: le grand saut vers la liberté

Être libre, c’est être maître de soi-même. Pour beaucoup de gens, une telle maîtrise concerne la liberté d’action, de mouvement et d’opinion, l’occasion de réaliser les buts qu’on s’est fixés. On situe ainsi principalement la liberté à l’extérieur de soi, sans prendre conscience de la tyrannie des pensées. Une conception répandue en Occident consiste à penser qu’être libre revient à pouvoir faire tout ce qui nous passe par la tête et traduire en actes le moindre de nos caprices. C’est une étrange conception puisque nous devenons ainsi le jouet des pensées qui agitent notre esprit.

La liberté intérieure, c’est d’abord l’affranchissement de la dictature du « moi » et du « mien », de cet ego qui entre en conflit avec ce qui lui déplaît et tente désespérément de s’approprier ce qu’il convoite. Savoir trouver l’essentiel et ne plus s’inquiéter de l’accessoire entraîne un profond sentiment de contentement sur lequel les fantaisies du moi n’ont aucune prise.

Le paradoxe du renoncement :

Dans l’esprit de beaucoup, l’idée de renoncement et celle de son compagnon, le non-attachement, évoquent une descente dans les oubliettes de l’ascèse et de la discipline. La triste privation des petits plaisirs quotidiens. Ne plus faire ceci ou cela. Le véritable renoncement ressemble davantage à l’essor de l’oiseau dans le ciel quand s’effacent les barreaux de sa cage. Tout d’un coup, les préoccupations sans fin qui oppressaient l’esprit s’évanouissent, laissant s’exprimer librement le potentiel de la liberté intérieure. Le renoncement consiste à mettre un terme à ce qui nous cause d’innombrables et incessants tourments.

Libre du passé, libre de l’avenir :

La liberté intérieure permet de savourer la simplicité limpide du moment présent, libre du passé et affranchi du futur. Se libérer de l’envahissement des souvenirs du passé ne signifie pas que l’on soit incapable de tirer des enseignements utiles des expériences vécues. S’affranchir de l’appréhension à l’égard du futur n’implique pas que l’on soit incapable d’aborder l’avenir avec lucidité, mais que l’on ne se laisse entraîner dans des tourments inutiles. Une telle liberté à une composante de clarté, de transparence et de joie que la prolifération habituelle des ruminations et des fantasmes interdit. Elle permet d’accepter les choses avec sérénité sans pour autant tomber dans la passivité ou la faiblesse.

L’intelligence du renoncement :

Le renoncement est une façon sensée de prendre sa vie en main, c’est-à-dire d’être las de se laisser manipuler comme un pantin par l’égocentrisme, la course au pouvoir et aux possessions, la soif de renommée et la recherche insatiable des plaisirs. Le véritable renonçant est parfaitement sain d’esprit et bien informé de ce qui se passe autour de lui. Il ne fuit pas le monde parce qu’il est incapable de le gérer, mais se désintéresse des préoccupations futiles parce qu’il en voit les inconvénients.

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